Le polar au polaroïd

Publié le par Christine Spadaccini

 



Résumé de l’affaire :

Tout commence par une vieille photo découpée dans le canard Sud-Ouest, glissée un jour de janvier 1959 entre les pages de La nuit tombe, le polar lunaire et amnésique de David Goodis, et retrouvée quarante-cinq ans plus tard par celui-là même qui l’y avait enfouie. Sur le cliché on découvre Marie-Thérèse Désormeaux, petite madone pincée et fan timide posant aux côtés du bluesman Big Bill Broonzy. Et dessous, il y a cette légende et son pesant d’or : « Coïncidence ? Marie-Thérèse Désormeaux bifurqua dans la vie à partir du moment où sa passion pour le jazz prit une forme excessive ». L’auteur de ce livre ne s’y est d’ailleurs pas trompé, qui la reprend comme titre du roman qu’il va commettre. Parce qu’il a décidé de fouiner dans cette vieille histoire qui soudain lui revient en mémoire : Marie-Thérèse aime le jazz et fréquente des voyous. Marie-Thérèse, fille d’un colonel de gendarmerie, va finir aux Assises. Marie-Thérèse, extraordinaire de banalité, est une victime idéale, son affliction était trop belle matière à fiction pour que monsieur Boujut ne veuille la kidnapper et y planter sa plume…

 

L’auteur des faits :

Michel Boujut est critique de cinéma, essayiste et son casier romanesque est loin d’être vierge. Il est né en 1940 à Jarnac.

 

Le mobile :

Retrouver le temps et le tempo perdus. Jeunesse et idoles blues envolées, que reste-t-il de ces années-là ? Se pencher sur le destin de cette femme qui n’en avait pas, n’eût-elle pas franchi la porte de la boîte de jazz. Après, sa vie est partie en impro. Marcher sur la frontière fine entre fiction et réalité, réinventer la vérité, la croire : « Marie-Thérèse, quand je parle d’elle, va-t-il me falloir préciser s’il s’agit de la vraie ou bien de celle que je réinvente peu à peu ? Sont-elles somme tout si différentes ? » (p 42)

 

 

Les circonstances atténuantes :

Aucunes ! Dans ce livre, rien n’est atténué, ça swingue du début à la fin. L’écriture est belle, staccato limpide, notes fraîches et précises. Comme dans tous les polars, on y trouve les pépées, les pétoires, les malfrats, les coups qui tournent mal, un mec s’y fait trouer la peau, toute la smala du noir est là, les avocats douteux, les journaleux, les bons, les bêtes et les truands plus la lointaine magie d’une époque finie, revisitée sous le prisme d’une jeunesse révolue. L’histoire se cherche une vérité impossible dans les partitions aléatoires et tronquées que jouent les témoins, anonymes ou personnalités du moment. Retour façon free jazz sur une enquête bouclée, bâclée, jugée, oubliée. Le thème est donné, le musicien-auteur improvise, au gré de ses souvenirs et des rencontres, les morceaux de son livre, on suit sans mal, sous le charme, battant la mesure, la mélopée acide du temps passé, one-two-three-for…

 

Le verdict :

A lire absolument ! Mettre sur sa platine un petit fond jazzy, tirer les rideaux, se fabriquer un joli clair-obscur dans une pièce calme avec juste ce qu’il faut de poussière, redescendre doucement les marches du temps, petit voyage vers l’arrière, dans le groove d’une époque et les méandres hypocrites et cossus de la province vieille France. Laisser entrer le démon Jazz, les traficotages en tout genre, les petites frappes et les bourgeois encanaillés et regarder le fleuve mémoire couler, cool, sous vos yeux. Marie-Thérèse, où es-tu, précieuse héroïne de pacotille ? Dis-moi que tu es, quelque part, un ange bleu, une muse, un destin… Pas juste le nom d’une vieille femme rompue que l’on trouve sans effort dans pagesblanches.fr… Ou bien ?

 

« Billie Holliday l’accompagne toujours, Travellin’ All Alone, comme une voix off plaquée sur ses propres incertitudes. Elle est une femme sous influence, en état de flottement. On sait par quoi Braganti croit la tenir. « All alone », elle s’est rendue dans une agence immobilière d’Argelès pour y louer un chalet à l’écart de la ville. Elle fait toujours très bonne impression et inspire confiance. « On lui donnerait le bon Dieu sans confession », se félicite Braganti qui n’aime que ça, les vierges Marie qui sucent, la bouche pleine et les yeux mi-clos. » (p 58)

 

Michel Boujut, La vie de Marie-Thérèse qui bifurqua quand sa passion pour le jazz prit une forme excessive, Rivages/Noir, 2008.

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K
C'était un chouette moment de lecture, un bon roman, mi-fiction mi enquête, léger avec juste la profondeur qu'il faut, élégamment écrit et prenant. J'ai aimé. C'est d'ailleurs pour cela que j'en parle. Quand un livre ne m'emballe pas, je le repose et je passe à autre chose!
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C
la note est convaincante... et tous les ingrédients que j'attend d'un roman semblent être là... dommage qu'on soit dimanche, un petit tout en librairie va s'imposer demain ! Merci beaucoup ;-)<br /> <br /> Christian
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