Hèreuhère

Publié le par Marie-Laetitia Gambié

(ressucée de chez Hemi)

Les déplacements biquotidiens en transports en commun sont une épreuve pour une misanthrope agoraphobe telle que moi, dotée en outre d'un odorat surdéveloppé hypersensible aux odeurs corporelles. Matin et soir je me tasse dans des bus et trains bondés en compagnie de quelques centaines de milliers d'autres franciliens effectuant leur indispensable transhumance. Les cahots, la chaleur, les odeurs, les prises de bec, les coups de coude. Jour après jour, lasse et respirant par la bouche autant que faire se peut, je survis à cette épreuve, en apnée mentale, des écouteurs dans les oreilles, tâchant de faire pénétrer dans mon cerveau un semblant de quiétude par le choix judicieux d'une liste de lecture savamment étudiée. Peine perdue. Les autres sont là, ô combien.

Ce matin, RER B. Deux jeunes gens parlant fort, le poil follet ornant un menton qui s'équarrit avec le début de l'imprégnation hormonale, se gaussent bien haut en compulsant un magazine supposément peu culturel, vautrés sur les strapontins, toutes jambes dehors, pataugas taille 48 bien étalées en travers du passage. Les gens alentour les contournent sans piper mot, inquiets à l'idée de tancer 180 kilos de chair fraîche munis de quatre poings en parfait état de marche le tout élevé au big mac sous la mère, et bien dense. Ni une ni deux, forte de ma grande gueule qui en a vu d'autres, alors que le RER entre en gare, déjà, je bouscule ostensiblement celui des deux lascars qui est le plus proche de la porte de sortie, en lâchant dans un grognement un laconique "pouvez pas vous pousser ?". Le jeune homme, plus jeune qu'homme à la réflexion, remonte prestement ses jambes, manifestement gêné d'avoir été ainsi remis à sa place par une presque vieille (32 ans pensez donc) et bafouille un "quoi ?" à l'endroit de son pote. Négligeant de répondre à l'audacieux, j'appuie le pouce de ma main droite sur le bouton qui doit actionner le mécanisme d'ouverture de la porte et me permettre d'aller prendre ma deuxième correspondance dans le flot humain et la joie intense et mal dissimulable (tiens, un zeugma). Point d'ouverture. C'est de l'autre côté.

Publié dans J'me marre

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