Ma cuisine
Vous vous rappelez les ennuyeux devoirs de vacances qu'on vous collait lorsque vous étiez mômes, les rédactions punitives qu'il fallait coucher au plus vite sur papier pour aller jouer, et les sujets ineptes de la semaine de rentrée ? Quel souvenir en avez-vous gardé ? Pour moi c'était l'horreur, la torture, la copie cent fois reprise, les pleurs, la rebellion, j'aurais vendu un frère ou un rein pour m'en faire distraire, et j'usais de toutes les ruses possibles pour y échapper. Pourtant... pourtant au fil des pages contraintes le goût m'est venu des mots qui se suivent et s'agencent avec harmonie, le goût des phrases que l'on respire, que l'on retourne en bouche les yeux mi-clos.
Mon pensum pour l'été c'est moi qui le choisis cette année, suis-je donc devenue grande ! "Décrivez votre maison idéale". Si l'une de mes comparses se sent le goût de m'accompagner, ce sera avec grand plaisir : maisons réelle ou rêvée, si ce sont vos maisons, amies, j'ai grande envie de les découvrir à vos côtés.
Comme toute gourmande qui se respecte, je vous emmène en tout premier dans ma cuisine. Petit à petit nous verrons se dessiner la bâtisse, qui, sans doute, en ramènera certains vers la maison du ruisseau que j'avais esquissée il y a quelque temps.
Entrons...
La cuisine ...
Elle doit etre très grande, très claire, très propre, et sentir le pin, l'ail, la farine. Y trône sur le mur opposé à celui de la porte d'entrée, vitrée de verre cathédrale orange en vitrail, un immense plan de travail en inox qui a vécu déjà, surplombé par des meubles très hauts, si longs qu'ils rejoignent le plafond sans laisser place à la poussière grasse qui se déposerait dans l'interstice. Elle doit être très lumineuse. Je l'imagine baignée par de larges fenêtres qui se font face ; l'une donne, basse, sur un carré de verdure domestiquée, carottes choux et salades en rangées sages ; l'autre, haute, ne pourrait être enjambée de l'intérieur, ouverte elle respire au coeur d'une touffe odorante d'herbes que l'on arrose par en haut, à la fraîche, menthe poivrée, thym, basilic fragile. L'été on y appose une moustiquaire artisanale sur laquelle viennent se poser les insectes hébétés que la chaleur rabat vers ce puits plus sombre et frais ; on prend le temps alors, voyeur immense d'un zoo permanent qui n'a pas conscience d'être, puisque les visiteurs sont ceux qui restent cloitrés, de contempler derrière le treillage fin le dard et les zébrures du frelon guerrier, immense, samouraï masqué de rouge, qui s'agace et semble pris de tremblements, on s'attendrit attirés par le zonzonnement incertain, épuisé, du bourdon aux cuisses épaissies de pollen orangé, trop lourdement chargé, qui prend une seconde de repos vertical dans le triangle d'ombre que dessine la pointe de la maison où le soleil déjà tourne, on sémerveille bouche close devant le découpage des ailes surfines du machaon qui palpite, roule et déroule sa trompe infime sans nous voir jamais, puis reprend son vol, battu, plané, battu, plané ...