E por si mueve

Publié le par Marie-Laetitia Gambié

 


A Rambouillet quand on y habitait, trônait sur la place qui jouxte le parc du château un superbe manège, Carrousel façon temps anciens : avec des ch'val d'bois qui montent et qui descendent, des camions de pompiers qui roulent, des avions, une girafe, un lion, un cygne rose kitchissime d'un mauvais goût abeulibeubol ... On descendait de notre chez-nous, on posait Mathilde à terre, chacun de nous lui tenait une main, toute petite et toute douce dans nos grands doigts.

"A la une ! à la deuuuuuuuux .... à la trois !" deux balancements de nos bras à l'unisson et Mathilde qui s'envole en riant.

C'etait tout près, la place Félix Faure, mais au rythme de ses tout petits pas ça nous prenait dix bonnes minutes pour l'atteindre.

Une fois un peu grande, elle anticipait, mais les premières fois quel délice ! elle se laissait surprendre, au coude que fait la rue, par la vision soudaine. Elle trépignait alors d'excitation, le cul rebondi par la couche dandinant son balancement frénétique vers "Manèz ! Manèz !".

Cette exaltation manifeste faisait se retourner les vieux sur ce tout petit bout de bébé qui parlait déjà, marchait à peine, et voulait courir plus vite encore plus vite !

Elle s'agaçait d'un coup et des larmes d'impuissance lui auraient coulé si son père ne l'avait pas hissée sur son dos, tout là-haut pour aller plus vite, à son pas de géant. Alors elle riait sur ses épaules "Manèèèèèèz maman !", et on courait guettant si par malheur le feu n'allait pas passer au vert avant qu'on ait pu traverser et que la sonnerie ait retenti faisant démarrer un nouveau tour.

Pendant que son père l'installait dans le camion de pompiers, j'achetais les tickets du jour. Le forain propriétaire était dès l'aube couperosé de frais, et son pied houleux même à terre ne devait pas grand chose au vent du large ... ptete pour compenser le tournis du carrousel où il passait récupérer les tickets des mains des enfants une fois la machine mise en branle... on sait pas ...

Ma princesse jolie ne bougeait pas, ne pipait mot, accrochée au volant de son camion - quel drame quand il était occupé ! - sérieuse comme quand on déguste un grand vin ou une belle voix, d'abord avec son père à ses côtés puis toute seule. Elle délivrait son billet au contrôleur sans un sourire, presque tendue, toutes ses fibres espérant l'ébranlement de la machine.  

Moi rien qu'à les regarder perchés là-haut j'avais envie de vomir.

Quelquefois je l'y emmenais seule. C'est une drôle d'épreuve de séparation pour une maman, un manège : je te vois, je te souris et te fais un petit signe, tu tournes, je te perds de vue, mon coeur rate un battement, une seconde s'étire paresseusement avant que ton camion ne réapparaisse, rotation incomplète, es-tu toujours dessus ... tu es dessus ! je te souris, je te fais un petit coucou ... et le tour recommence. Un apprentissage, un "je te lâche un tout petit peu mais ne pars pas trop loin", des prémices de commencement de se quitter ...

Publié dans C'était booon

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S
Ce texte là, comme un écho. Il me touche. Pour d'autres raisons. Je pense à un autre carrousel. le froid, la pluie, la solitude. Et seule avec les enfants. Dans les lumières, se jurer qu'un jour la vie sera différente.
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F
Clair. Plus les années passent plus le manège devient vaste...
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M
ouais, on s'entraîne, mais purée ce que c'est loin dublin !
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F
Aprentissage oui !<br /> Comme je me souviens, la première fois, je me disais, elle va pleurer.<br /> Tu parles. C'est moi qui avais peur qu'elle disparaisse de l'autre côté.<br /> Et vous savez quoi : quand je perds mes proches des yeux, alors oui, parfois je suis encore un peu inquiète.<br /> Mais je m'entraîne...
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K
Je me rappelle aussi ce tour sur le carrousel de tes lignes, Mariléti, si drôles jolies poignantes que, tiens, c'est à toi que revient le pompon, attrape! Et zou, tourne, Manèz!
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