Le passant chagrin

Publié le par Christine Spadaccini



J'ai terminé la traduction de

Grief de Andrew Holleran, une expérience passionnante que j'avais évoquée dans ce texte publié par la revue Strictement Confidentiel. Elle paraîtra aux éditions [MiC_MaC] prochainement sous ce titre: Le passant chagrin. J'ai longtemps cherché LE titre français pour Grief. De nombreuses idées me sont venues à l'esprit, on en a discuté avec l'auteur, certaines ont duré plus d'un jour, la plupart n'avait que le charme éphémère de ces soudains petits éclairs de la pensée que l'on s'imagine belles trouvailles sur l'instant mais qui ne sont que des étapes du cheminement créatif. Andrew Holleran s'amusait de trouver chaque matin dans sa BAL l'idée sur laquelle je m'étais enthousiasmée durant la nuit et que je rejetais le jour suivant parce que je savais, au fond de moi, que ce n'était pas encore le bon titre. Un jour il a fini par m'écrire: I think you are having title-mania, something I have gone through so many times. I think titles are so important; when I started out writing, I was annoyed that I had to write stories/books so that I could use my titles. Titles are the most fun. BUT I've learned over the years that they either come immediately, easily, to me, or not at all. When they don't come naturally, and you have to think and construct, it rarely works. I am about to use a bad title, in fact, because of that. There's no way around it. Je me suis dit qu'il avait sûrement raison, qu'il fallait se mettre d'accord sur un titre et puis basta, il y en avait un qui nous plaisait bien à tous les deux, banco. Mais...ça me turlupinait encore. Une nuit que mon sommeil avait cassé sa laisse et s'était enfui par la fenêtre ouverte, j'ai longtemps zyeuté dans les nuages sombres espérant le voir revenir, nez au vent, pattes en sang, affamé, épuisé de cette escapade insensée, j'ai sifflé en vain l'air de passiflore et valériane, pensant qu'à force de regarder les légères danseuses de vapeur qui s'échappaient de la tasse, un rêve allait bien finir par se prendre aux arabesques de leurs pas hypnotiques et s'y laisser infuser, que dalle, l'azor n'est pas revenu alors, lasse, j'ai allumé la lumière, choisi un ouvrage dans la pile des livres qui me font chevet, me font rêver, Les Fleurs du Mal, et je l'ai ouvert au hasard, à ce bel hasard-là:

 

A CELLE QUI EST TROP GAIE

Ta tête, ton geste, ton air
Sont beaux comme un beau paysage;
Le rire joue en ton visage
Comme un vent frais dans un ciel clair.

Le passant chagrin que tu frôles
Est ébloui par la santé
Qui jaillit comme une clarté
De tes bras et de tes épaules.

Les retentissantes couleurs
Dont tu parsèmes tes toilettes
Jettent dans l'esprit des poètes
L'image d'un ballet de fleurs.

Ces robes folles sont l'emblème
De ton esprit bariolé;
Folle dont je suis affolé,
Je te hais autant que je t'aime!

Quelquefois dans un beau jardin
Où je traînais mon atonie,
J'ai senti, comme une ironie,
Le soleil déchirer mon sein;

Et le printemps et la verdure
Ont tant humilié mon coeur,
Que j'ai puni sur une fleur
L'insolence de la Nature.

Ainsi je voudrais, une nuit,
Quand l'heure des voluptés sonne,
Vers les trésors de ta personne,
Comme un lâche, ramper sans bruit,

Pour châtier ta chair joyeuse,
Pour meurtrir ton sein pardonné,
Et faire à ton flanc étonné
Une blessure large et creuse,

Et, vertigineuse douceur!
A travers ces lèvres nouvelles,
Plus éclatantes et plus belles,
T'infuser mon venin, ma soeur!

CHARLES BAUDELAIRE, LES FLEURS DU MAL. 


 
Le passant chagrin... C'était LE titre, je l'avais! Dans la première édition des Fleurs du Mal, ce poème a été censuré par les juges qui ont qualifié les deux dernières strophes de "sanguinaires et obscènes". Elles prennent un écho bien particulier, associées, même indirectement, à Grief dans les pages duquel le narrateur évoque si souvent ses nombreux amis morts du SIDA... Voilà, c'était une belle aventure, merci Andrew, merci Charles, merci insomnie et bel hasard... Quant à vous, j'espère que vous aurez envie de "nous" lire!

Publié dans Mot à maux

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K
Mon oeil se retape...mouais, je me comprends! ;) ça ira mieux quand je ressemblerai plus à Marilyn Manson lors de sa dernière Halloween party! ;)
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M
<br /> Ca pourrait arranger Marie ... parait qu'i bouffe des chatons ... ^^ hu hu<br /> <br /> <br />
M
lol pauvrette<br /> comment kiki va ton oeil au fait ?? <br /> ah vi ah vi je veux bien commencer par celui-ci !
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K
Ben pourquoi ça serait pas simple?! J'ai la recette pour foutre des bons yeux au beurre noir maintenant, t'inquiète! ;)) Nan, sans déc, tu lis et tu te laisses emporter ou pas, comme avec n'importe quel livre... Je vais voir si mon éditeur veut t'envoyer un SP d'ailleurs....
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M
Moi je m'le mets en "reading list" d'ores et déjà. Même que je f'rai la critique ici (oh oooooh va pas être simple si ça me plait pas mais je suis pas trop inquiète !)
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